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Quel sera l’impact de la génomique mobile?

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Il y a deux ans et demi je vous parlais du présent, passé et futur du séquençage de l’ADN en vous présentant notamment, le minION, un nouvel appareil, qui promettait de fournir un séquenceur de la taille d’une clef USB. Mais à l’époque, point de commercialisation et points de données disponibles; il fallait se contenter de promesses et espoirs.

L’arrivée des séquenceurs de poche

Ce séquenceur de poche n’est toujours pas commercialisé mais Oxford Nanopore Technology (ONT), le constructeur, en a fait parvenir à différents laboratoires pour un test en conditions réelles. Certains des heureux élus ont publié leurs premières impressions, des premières séquences (ou ici) ou ont même déjà développé des programmes et méthodes d’analyse.

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Un minION, un séquenceur ultra léger alimenté par port USB. Crédits: ONT.

Pour rappel, cette technologie propose de grands avantages sur les technologies actuellement utilisées, à savoir:

  • Les appareils d’ONT sont déclinables en appareil de laboratoire ou mobile (comme le minION), de la taille d’une grosse clef USB.
  • elle est peu chère car elle repose essentiellement sur des protéines (des pores) modifiées et la détection du signal électrique qui est généré, une fois que l’ADN est passé par ses pores. Le minION (à usage unique) devrait couter moins de 1000$.
  • Comme l’ADN passe directement dans la pore, nul besoin de préparation de l’échantillon. Quelques manipulations simples et rapides peuvent permettre d’améliorer la qualité et efficacité de la lecture mais ce n’est rien comparé aux jours et nombreuses étapes demandés par les protocoles de préparation de l’ADN d’autres technologies.
  • Les séquences lues sont longues. Les technologies actuelles lisent quelques centaines de A,T,G ou C ou quelques milliers pour certaines. Il faut donc utiliser de complexes et longues méthodes bioinformatiques pour les assembler par la suite. Ici, on peut en lire jusqu’à des centaines de milliers d’un coup. De quoi séquencer un génome de virus en une seule fois ou de l’ordre de de 1/10ème à 1/50ème d’une génome bactérien.
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En passant par la nanopore, la molécule va altérer le courant la traversant. La partie logicielle du séquençage devra alors interpréter le changement de signal électrique observé. Crédits: ONT.

Ces différentes caractéristiques font qu’il sera bientôt possible de se promener partout avec un séquenceur dans son sac à dos. L’alimentation se fait par un port USB et les données sont directement envoyées et traitées à la volée par l’ordinateur. Pas besoin de rentrer au labo pour avoir les résultats de séquençage: l’ère de la génomique mobile semble bien s’approcher à vitesse grand V.

Tout cela est bien beau mais, concrètement, quelles seront les applications de cette génomique mobile qui s’annonce merveilleuse?

Un boost pour la génétique humaine? Pas forcément…

Lorsque l’on nous vend les merveilleux progrès de la génétique et génomique, on nous parle souvent de santé humaine, médecine personnalisée et autres traitements anti-cancer. La génomique mobile aura très certainement un impact sur notre monde, notre industrie et notre économie mais elle en aura certainement peu sur l’homme de manière directe.

Les polymorphismes sont les différences de la séquence d’ADN entre individus. Ces différences sont la base de la diversité entre individus et peuvent expliquer nos caractéristiques telles que certaines maladies ou prédispositions. Il est à l’heure actuelle facile de détecter ses polymorphismes mais très complexe de trouver leur rôle.

En effet, si l’on souhaite utiliser la génétique humaine pour des raisons médicales il faut soit avoir un génome complet de bonne qualité (par exemple, pour connaitre les polymorphismes qui peuvent interagir entre eux – voir encadré) ou alors une information précise sur une petite portion précise du génome (dans le cas d’une maladie monogénique, n’impliquant qu’un seul élément identifié du génome). A l’heure actuelle, le minION ne permet pas cela. Tout d’abord, ce séquenceur lira l’ADN qu’on lui présentera. Pour lui faire lire des régions spécifiques il faudra plus de manipulations qui prendront certainement place dans un laboratoire; la mobilité en prend alors un coup.
Quant à lire un génome humain en entier cela prendrait beaucoup plus de temps et demanderait d’avoir énormément de matériel génétique disponible. Mais, surtout, le taux d’erreur actuel est très élevé (de l’ordre de 5%) et ne permettra donc pas de déterminer la séquence exacte d’un gène précis ou du génome entier. Pour plus de précisions, il faudra prendre la direction… du laboratoire.

La technologie évoluera et se perfectionnera me direz vous. Et vous avez certainement raison. En parallèle, les autres technologies, les mentalités et les lois aussi. A ce moment, il sera alors probable que ceux le souhaitant aient leur génome (ou une partie) séquencé. Une simple connexion internet servira alors à accéder à ces données et, avoir accès à internet partout est quelque chose que l’on maitrise pas trop mal. Une fois le génome séquencé, il reste plutôt stable avec le temps et il y aura que peu de situations où l’on aura le besoin de connaitre la séquence d’un élément génétique humain là, maintenant, tout de suite, sans avoir le temps ou l’opportunité de se rendre à l’hôpital le plus proche. Même dans le cas d’un cancer, où le génome est grandement altéré et la caractérisation de ces altérations génétiques peut permettre de mieux cibler le traitement, la dynamique de progression des tumeurs laisse généralement le temps de se rendre dans un hôpital pour y suivre des examens plus poussés.

On peut tout de même imaginer des cas de figures où de tels outils pourront aider, notamment lorsque la technologie se montrera plus efficace. A titre d’exemple:

  • en sciences criminelles, de tels instruments pourront se montrer utile pour analyser l’ADN directement sur une scène de crime lorsque la situation exige une certaine rapidité. Si l’on arrive à cibler des zones précises du génome, on peut avoir accès à des données telles que l’ethnicité, la couleur de peau ou encore la couleur des yeux de propriétaire de l’ADN en question. En croisant les résultats avec une base de données, on peut aussi avoir une identification plus formelle (si l’individu est fiché).
  • lors de catastrophes naturelles, des séquenceurs mobiles permettraient d’effectuer des identifications (précises ou générales) de personnes dans un contexte où les hôpitaux sont saturés et les procédures d’identification sont longues et douloureuses pour les familles et volontaires. Cela demande toutefois une meilleure précision de la technologie et que la personne à identifier aient déjà au moins une partie de son génome lue.

Les micro-organismes, les candidats idéaux

Le constat peut paraitre assez pessimiste mais la génomique mobile a tout de même de nombreuses applications qui pourraient avoir un impact au quotidien. Les technologies actuelles sont limitées pour lire de manière précise de génomes aussi gros que celui d’un humain mais ces défauts sont largement surmontables pour des génomes plus modestes tels ceux des bactéries. Les bactéries ont des génomes bien plus petits qu’un humain (d’un ordre de grandeur de 1000) et sont présentes partout: sur notre peau, dans notre intestin, dans les élevages, dans l’eau ou encore nos yaourts (les publicitaires les appellent alors des bifidus actifs, ça fait plus sexy)… Certaines espèces sont dangereuses, d’autres inoffensives et certaines nous sont indispensables. Enfin, il est impossible d’en cultiver certaines en laboratoire faute de savoir dans quel milieu elles s’épanouissent et se multiplient. On pourrait aussi inclure dans nos cibles potentielles certains micro-organismes (comme des levures ou des parasites) partageant certaines de ces caractéristiques.

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Aperçu de la taille du génome par groupes d’espèces (échelle logarithmique). Un minION peut lire jusqu’à 100 Kb d’un seul coup. Source

Grace à la génomique mobile, il sera désormais possible d’avoir une vue rapide à quels micro-organismes se trouvent dans un milieu donné. Et cela peut avoir de nombreuses applications pour, par exemple, des vétérinaires voulant tester la présence d’agents infectieux chez des animaux isolés, des écologistes voulant étudier les populations bactériennes d’un environnement particulier sans avoir à ramener (et perdre) d’échantillons au labo, des employés d’agence de contrôle souhaitant vérifier la présence ou absences de pathogènes dans des lieux où ces petites bêtes ne sont pas censés être,…
Dans de tels cas, la technologie peut déjà être utile. On peut rapidement avoir une vue assez intéressante des micro-organismes se trouvant dans un environnement donné en obtenant seulement une partie de leur génome avec un taux d’erreur pourtant élevé. La différence est ici que la séquence est certes peu précise mais elle recouvrira une partie bien plus importante, voir la totalité, du génome, ce qui nous donnera suffisamment d’information. De plus, des lectures répétées du même échantillon permettra d’identifier et corriger certaines erreurs de séquençage et donc d’obtenir une séquence de meilleure qualité lorsque le besoin s’en fait sentir.

A défaut d’avoir un impact immédiat et concret en terme de génétique humaine, la génomique mobile, de par son potentiel de caractériser des populations bactériennes ou des micro-organismes in situ, promet tout de même d’avoir des applications influençant notre écosystème de santé et de production. L’amélioration graduelle de la technologie fera peut être que certains corps de métiers intègreront un séquenceur de poche dans leurs outils du quotidien.

Bonus track: au-delà de l’ADN?

Le site d’ONT vante aussi la possibilité pour leur système de détecter d’autres molécules que l’ADN, à savoir des protéines ou autres composés chimiques. Ces éléments passant à travers ou interagissant avec la pore génèrent aussi un signal électrique particulier. L’interprétation de ce signal permettrait donc d’identifier le composé en question. Après avoir lancé une discussion sur Twitter, à laquelle Clive Brown, le directeur technique d’ONT, a lui même participé, il semble que cette fonctionnalité n’est pas encore totalement développé. Si elle voit le jour, le champ d’application des minIONs et consorts n’en sera que décuplé.


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